50 ans de journalisme
Propos recueillis par Claudette Lambert
Pierre Maisonneuve est journaliste, animateur de radio et de télévision et auteur de plusieurs ouvrages biographiques. Claudette Lambert l’a rencontré pour nous. Il retrace les grands segments de son parcours journalistique, mais surtout il nous partage sa passion du métier et les valeurs fondamentales qui l’ont guidé.
Claudette Lambert : Pierre Maisonneuve, pourquoi avez-vous choisi de devenir journaliste?
Pierre Maisonneuve : C’est le hasard qui a fait de moi un journaliste. Je travaillais à la Dominion Store, dans la comptabilité, et un ami a vu une annonce dans le journal proposant des cours pour devenir annonceur de radio. Il n’y avait pas de faculté de journalisme à l’époque. Il me dit : « Maisonneuve, tu devrais faire ça. » Je n’avais jamais pensé à ça. Rien, ni dans ma famille ni dans mon environnement, ne m’amenait à penser que je pouvais faire ça. J’ai fait le cours, et j’ai été embauché dans un poste de province à Cornwall, en Ontario. La veille de mon entrée en fonction, je vais me présenter à la responsable de la station radiophonique, mais dans la ville de Cornwall, il y avait un incendie. Il n’y avait donc personne à la station, sauf deux annonceurs, un qui allait couvrir l’événement et l’autre qui prenait la charge. Je demande à celui qui quittait : « Est-ce qu’on y va? » Il dit : « OK! » J’y vais donc, et je demande au journaliste : « Est-ce que tu fais une nouvelle avec ça? » il me dit : « Oui, tiens, fais-la donc. » Je suis allé dans une cabine téléphonique, j’ai rédigé un texte, et j’ai fait mon premier topo officiel de radio. Le lendemain, la patronne me dit : « C’est vous que j’ai entendu hier à la radio, sur un incendie? » Je me suis demandé si j’avais commis un impair. Elle m’a donné mon assignation et deux semaines après, elle m’a appelé dans son bureau et m’a dit : « Dorénavant, en plus de vos émissions, vous allez couvrir le conseil scolaire, le conseil municipal, le matin vous irez au poste de police, au poste de pompiers, et si ce n’est pas assez, vous ferez des téléphones. » Tout ça pour le même salaire! Après je suis venu à CJMS à Montréal, où j’ai été embauché comme disc-jockey, mais j’ai dit au patron : « Si vous avez un poste de journaliste, c’est ce que j’aimerais faire. » C’est ainsi que j’ai découvert que ce que j’aimais le mieux, c’était l’information.
Et cette fibre-là, comment s’est-elle développée?
P. M. : J’ai toujours été curieux. J’ai vu la première émission de télévision en 1952, et lors du soulèvement à Budapest, quand les chars russes sont entrés, j’ai compris la force de l’image. On s’imaginait qu’il allait y avoir une troisième guerre mondiale, et je me souviens que j’attendais le téléjournal de Radio-Canada. J’étais fasciné par l’information.
On était une famille nombreuse et mon père était un menuisier-charpentier. Les seuls moments où il nous demandait le silence, c’était pour le Téléjournal, Point de Mire avec René Lévesque, et… la lutte! Mon père s’était un peu mêlé de politique et il me racontait notre histoire… Je pense que j’ai plus appris avec lui que dans mes études, parce que c’était une histoire vécue.
Mais comment définir l’intégrité journalistique?
P. M. : Pour moi, l’intégrité, ça peut paraître ringard, c’est : ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Si tu vas rencontrer quelqu’un, n’essaie pas de lui imposer ton point de vue. Essaie d’être à l’écoute de l’autre, de respecter sa pensée. Dans le métier de journaliste, on part avec une hypothèse, et on essaie de confirmer cette hypothèse. On monte un dossier, on fouille les événements, mais en cours de route, il arrive qu’on découvre que l’hypothèse était mauvaise et qu’on va aboutir exactement au contraire. L’intégrité, c’est d’aller vers la vérité que l’on découvre sans parti pris. Bien sûr, chaque personne a sa vérité. Cette éthique m’a permis de passer à travers les référendums au Québec. Deux groupes s’affrontaient sur deux idées fondamentales, mais toutes deux légitimes. Mon intégrité, c’était d’aller chercher dans les deux camps ce qu’ils avaient à dire et de laisser aux gens la capacité de juger.
Mais quand vous êtes devant un personnage politique qui ne veut pas parler, vous avez le devoir d’aller au-delà de la surface…
P. M. : Oui, mais il faut être bien préparé. Un jour, Alfonso Gagliano avait fait faire des enquêtes sur les journalistes qui avaient à interviewer des ministres. Je ne sais pas trop pourquoi, mais on peut le deviner… On avait dit de moi : « Il est correct, mais si vous allez à son émission, soyez prêt, parce que lui le sera. » On doit connaître assez bien le dossier pour ne pas se faire avoir, mais en étant à l’écoute, on peut aller beaucoup plus loin.
Ça fait 50 ans que je suis journaliste, et dans la classe politique, j’ai rencontré plus de gens respectueux que de gens qui ne méritaient pas le respect. Quand vous interviewez le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, vous savez que vous êtes sur un terrain extrêmement difficile. Et quand il vous dit : « Imaginez que votre enfant est dans l’autobus à Jérusalem, et que l’autobus saute… vous viendrez me reposer vos questions ensuite », je suis obligé de partir de cette réalité-là.
Au fond, l’objectivité est toute relative…
P. M. : Notre directeur de l’information à Radio-Canada, Marc Thibault, avait dit : « Nous ne voulons pas de journaliste mièvre, nous ne devons pas occulter des dimensions et des personnes qui sont d’un avis contraire, mais plutôt offrir le spectre complet de ce que l’on possède en matière d’information. »
Ce métier vous a obligé à puiser en vous tout ce qui était nécessaire pour faire surgir ces vérités à multiples facettes.
P. M. : J’ai eu l’occasion, dans le passé, d’interviewer Claude Castonguay quand il était ministre. Mais un jour, j’ai fait un livre-entrevue avec lui. C’est une démarche complètement différente. Je n’essayais pas de le piéger, mais plutôt de le comprendre. J’ai fait aussi un livre-entrevue avec Mgr Marc Ouellet, et des collègues m’ont dit : « Tu pactises avec les cardinaux, maintenant? » J’avais répondu ceci : « Non, Mgr Ouellet nous dit ce qu’il pense, mais nous ne savons pas d’où il vient ni sur quoi repose son discours. Il est important de comprendre sa démarche, et ensuite seulement de juger son discours à la lumière de son parcours. »
Diriez-vous que votre métier vous a rendu meilleur comme être humain?
P. M. : Ah oui! Avec le temps, on devient plus compréhensif. J’ai déjà critiqué la police de Laval, qui avait traîné, nue sur la place publique, une personne qui avait eu une crise de démence et qui avait tiré au hasard. J’ai critiqué les policiers en disant : « Ils auraient pu au moins le couvrir, il y avait beaucoup de badauds. » Plus tard, j’ai vu la première page du Journal de Montréal où je travaillais, et nous avions cet homme nu en première page du journal. Je me suis dit à ce moment-là : « Comment puis-je critiquer les policiers, alors que nous l’avons affiché devant des milliers de personnes, parce qu’on voulait avoir la bonne photo! » Ça fait comprendre les contradictions de ce métier-là et notre désir d’avoir absolument un scoop.
Vous avez été un homme public toute votre vie. Votre image est-elle lourde à porter?
P. M. : Je vais être très honnête avec vous : si on ne veut pas porter cette image, on ne fait pas ce métier-là. Bien sûr, on est sensible au regard des autres. Je ne parlerais pas d’orgueil, mais plutôt d’un besoin de recevoir l’appui des êtres que l’on prétend servir par ce travail. Nous entrons tous les jours dans les foyers, nous faisons partie de la famille, nous devons donc respecter ces gens qui nous accueillent chez eux en leur présentant l’information la plus complète et la plus honnête possible.
C’est une lourde responsabilité sociale!
P. M. : Oui. Il faut comprendre la portée de nos propos et l’influence que l’on peut avoir. Un jour, j’animais l’émission Enjeux, je devais présenter un segment de l’émission qui traitait de toute la question de la drogue. II y avait des propos explicites et des images de gens en train de s’injecter de la drogue. Connaissant le milieu de la désintoxication et la portée de telles images sur des gens fragiles qui risquent d’avoir une récidive, j’ai conclu que je ne pouvais pas présenter ce document qui avait été pourtant accepté par toute la hiérarchie. Je me sentais bien seul. En refusant de présenter ce reportage, c’était une rupture de contrat, je refusais d’aller en ondes. L’affaire est allée jusqu’à la haute direction de Radio-Canada qui a finalement décidé de ne pas présenter le document. En conséquence, je me suis fait peut-être quelques ennemis, mais il y a des moments dans la vie où on doit dire non.
C’est courageux!
P. M. : Je dirais ça autrement! Quand on fait le métier de journaliste, on a une telle responsabilité qu’il faut accepter de prendre le risque de tout perdre pour ne pas franchir une ligne. Heureusement, ma conjointe était d’accord avec moi là-dessus.
Dans ce métier, pour rester en haut de l’affiche, il faut faire tout ce qu’il faut. Quand la performance a des ratés, est-ce que c’est dramatique?
P. M. : Je vais vous faire une confidence. Je pense que je n’ai jamais parlé de ça vraiment ouvertement. Il m’est arrivé, un jour, de ne plus être capable d’être en direct à la radio ou à la télévision. Je faisais de l’hyperventilation. Je pense qu’il y avait une forme d’épuisement parce que la performance est très exigeante. Ça m’a pris du temps avant de pouvoir sortir de ça. Finalement, j’ai poursuivi ma carrière pendant une vingtaine d’années encore, là où je me sentais le mieux, en direct! J’avais réussi à aller au plus profond de moi-même pour trouver la force intérieure de pouvoir vaincre cet épuisement. J’aimais tellement ce métier! Je savais que je devais prendre tous les moyens. Vous savez, faire une émission en direct, sans filet, alors qu’il peut se produire n’importe quoi, donne une sensation, une énergie telle, qu’on ne peut plus s’en passer!
C’est une drogue douce…
P. M. : Effectivement! Et chaque jour apporte son lot de sujets ou d’événements, vous êtes toujours à l’affût. Qu’est-ce que je vais retenir aujourd’hui? Qu’est-ce que je vais tenter de fouiller? En 50 ans de carrière, j’ai fait à peu près 35 ans de direct en essayant toujours d’avoir la bonne entrevue, le bon focus, la bonne personne! C’est une université fantastique!
Diriez-vous que ces rencontres ont nourri votre quête de sens?
P. M. : Je réfléchis actuellement sur une chose : nous avons eu une grande fierté pour notre fonction publique. Nous avons vu apparaître le ministère de l’Éducation, le ministère de la Santé et des Affaires sociales, qui pouvaient répondre aux besoins de la population. Comment est-on arrivé à ne voir que le négatif de la fonction publique et des gens qui travaillent au service du public? Moi j’ai eu quelques petits problèmes de santé, j’ai fréquenté plus souvent qu’autrement les hôpitaux, et j’ai eu des soins fantastiques de la part du personnel dédié à leur travail. Comment peut-on avoir renversé le discours pour laisser croire qu’il n’y a que des parasites dans la fonction publique? C’est mon métier, je pense, qui m’amène à dire qu’il ne faut pas succomber aux préjugés. Comme si on partait à la chasse aux sorcières en englobant tout le monde. Il y a des choses comme celles-là qui me provoquent et m’amènent à penser autrement.
Mais les années ont passé, vous avez vieilli comme tout le monde, et vous avez publié une dizaine de livres dans lesquels vous tentez de cerner les expériences de vie de certains personnages publics. Qu’est-ce qui vous pousse à modifier votre trajectoire pour aller chercher cette quête de sens des autres?
P. M. : Là encore, le hasard! Quelqu’un chez Novalis m’a proposé de faire de grandes entrevues pour publication, en me donnant carte blanche. Il s’agissait de voir comment des êtres sont parvenus là où ils sont. Je vous donne un exemple : René Dupéré, le musicien du Cirque du Soleil. Il était professeur au secondaire, il a tout laissé pour devenir musicien de rue. Pourquoi ce gars-là a pris ce risque énorme? Quel était son moteur? J’ai ainsi découvert l’histoire fantastique d’un homme qui a changé sa vie pour aller au bout de sa passion. Même chose pour Gilles Vigneault. Dans une émission de radio, il a dit un jour : « Ce qu’il y a de caché en moi, c’est la prière et le sacré. » Personne n’ose dire ça publiquement; pourquoi Vigneault, lui, est-il capable de le dire? J’ai écrit à monsieur Vigneault et c’est là qu’il m’a dit une des plus belles vérités qui m’aient été dites dans le métier : « Tu ne fais pas un livre sur moi, tu fais un livre sur toi. » Et il avait raison. J’ai été frappé par les propos de Vigneault et par ceux de Dupéré parce qu’ils répondaient à des interrogations qui étaient en moi.
Ces dernières années, vous avez souvent interviewé des gens qui parlaient de leur foi. Gilles Vigneault, Gérald Tremblay, Claude Morin… Il doit bien y avoir une raison profonde derrière cela!
P. M. : Je me demandais comment il se fait qu’on n’a plus rien à présenter aux gens. Que reste-t-il de cette foi qu’on nous a inculquée? Les gens ont le droit de se dire athées. Je n’ai jamais été de cette tendance-là, même s’il y a des choses qui m’ont éloigné de la foi de mon enfance, mais j’ai toujours su apprécier un bon moment de recueillement dans une église, dans un monastère, et même dans des temples d’autres religions, qui sont des lieux de prière et de méditation. Peut-être qu’en vieillissant, on devient plus près de ces choses-là. Il y a toute une période de vie où on a l’impression qu’on n’a pas le temps. On élève sa famille, on essaie de réussir dans le travail… Mais en vieillissant, il devient possible de prêter du temps à cette dimension de nous-mêmes.
Le temps de ralentir, de s’apaiser pour écouter la voix intérieure… Vous êtes un père de famille, mais vous êtes aussi un modèle pour les jeunes qui abordent le métier que vous avez pratiqué. La paternité sous toutes ses formes est-elle importante pour vous?
P. M. : Je viens d’une famille de douze enfants. Pour moi, les enfants, c’est la continuité normale, le prolongement de soi-même. Et je suis assez père poule. Accompagner les enfants, être présent pour eux, des fois se laisser abuser un peu… Je suis bien avec les enfants. J’allais voir un match de hockey de mes fils, et je me laissais prendre autant que si j’avais été voir le Canadien de Montréal. Je suis heureux en présence des enfants. D’ailleurs, ça m’a obligé à modifier certaines ambitions sur le plan journalistique. Quand on fait ce métier, on rêve toujours de partir à travers le monde. Si vous avez accepté d’avoir des enfants, il y a des choix qui doivent être faits, des choix que je n’ai jamais regrettés. C’est même ma priorité. Si le travail de journaliste, que j’adore, avait compromis la famille, j’aurais changé de métier.
Quand vient le temps des jeunes, je suis toujours prêt à aider. Une amie à Radio-Canada, un jour, m’avait dit : « Je suis inquiète, mon fils est en secondaire V, on est en janvier, et il veut quitter. » Je lui ai dit : « Me permets-tu de lui écrire? » Et j’ai écrit au fils pour lui dire comment moi j’avais dû laisser les études très jeune, parce que mon père avait été malade. Comment il avait été difficile ensuite de reprendre mes études. Et j’ai ajouté : « C’est important que tu finisses une étape. Finis ton secondaire! Va travailler, et si un jour, tu décides de revenir, tu auras au moins franchi une étape. » Avant de quitter Radio-Canada, j’ai appris que c’est ce qu’il a fait, le jeune. Il a finalement terminé son secondaire, et après avoir travaillé, il a entrepris ses études collégiales. Un geste, une lettre qui ne m’a pas pris beaucoup de temps à un jeune que je ne connaissais pas, et qui a changé le destin de cet enfant.
Quand je rencontre des jeunes qui veulent être journalistes, je leur parle de la passion de ce métier-là. Comment le faire, comment dépasser leurs propres limites et aller le plus loin possible en eux-mêmes.
Justement, vous êtes engagé depuis un certain temps auprès des jeunes à la Maison des enfants de l’île de Montréal. Qu’est-ce qu’on y fait au juste?
P. M. : La Maison des enfants rayonne dans une vingtaine d’écoles. Notre regard n’est pas porté uniquement sur la pauvreté. Hochelaga-Maisonneuve n’est pas un milieu facile. Des bénévoles avec des enseignants acceptent de rencontrer librement des enfants qui ont parfois des difficultés ou des perturbations, et qui veulent parler à un adulte, qu’ils ne trouvent pas facilement dans leur quotidien. Alors, on le fait. Les enfants nous écrivent, nous recevons jusqu’à 5 000 lettres par année. La Maison des Enfants est leur maison; on y accueille aussi des groupes-classes qui fréquentent le lieu. Quand un enfant nous écrit, et qu’on répond à sa lettre, c’est comme si on lui disait : « Tu es important pour nous. » Ça commence par une lettre toute simple, banale même, mais qui a son importance, et parfois ça se prolonge avec des lettres beaucoup plus profondes.
On vous invite souvent à donner un témoignage de votre vie, de votre travail, de vos convictions intimes et vous poursuivez votre métier de journaliste à Radio Ville-Marie, une radio qui permet l’émergence des questions spirituelles. Pourquoi prenez-vous cette direction?
P. M. : Avec tous ces débats sur la charte des valeurs, si nous ne disons pas ce que nous sommes sur le plan de notre propre spiritualité, comment pouvons-nous demander aux autres de s’intégrer chez nous? Alors j’ai décidé de faire mon bout de chemin à Radio Ville-Marie, dans la liberté, comme je l’ai fait à Radio-Canada. Cela me permet d’avoir des rencontres assez fascinantes. J’ai un emploi du temps moins serré qu’à Radio-Canada, où j’avais une émission d’actualité quotidienne à chaud. Mais vous savez, une personne qui accepte de vous rencontrer pendant une heure, deux heures, comme l’ont fait Gérald Tremblay, Jacques Godbout ou Lise Payette, et de se confier à vous, c’est un cadeau précieux!
En 50 ans de journalisme, vous avez été un homme heureux?
P. M. : Ah oui! Je viens d’une famille qui a vécu de grandes difficultés. L’aîné chez nous était tétraplégique. Il est mort à l’âge de neuf ans, le jour où ma mère et mon père l’ont laissé à l’hôpital. Je suis convaincu que cet enfant-là est mort d’une grande angoisse… C’était une chose dont on n’a plus jamais parlé, de la difficulté, de la souffrance… Et quand j’ai lu Bonheur d’occasion, j’ai réalisé que mon frère était mort dans le même hôpital que l’enfant que la mère de l’héroïne avait perdu, au Children Memorial Hospital.
Quand on est jeune et qu’il y a un enfant infirme, comme on le disait à l’époque, dans la maison, on comprend qu’une mère n’a que deux genoux. Et comme elle avait un bébé chaque année, ça ne nous laissait pas beaucoup de temps pour profiter des genoux de notre mère. Il fallait compter sur le clan et apprendre à ne jamais se décourager malgré cette dure réalité sociale. On a eu des périodes difficiles avec la maladie de mon père, mais on s’en est toujours sortis par la solidarité. J’ai toujours été optimiste, j’ai toujours pensé que quelque chose allait arriver, qu’on pouvait s’en sortir, et réussir!
Je dis souvent : Ça fait 50 ans que je ne travaille pas, parce que le travail a un sens péjoratif. Mais passer sa vie à rencontrer des gens qui acceptent de répondre à vos questions, vivre dans un monde en ébullition, même dans un milieu difficile comme Radio-Canada, oui, je suis un homme heureux.
De plus, je vis depuis 45 ans avec la même personne. Nous avons développé des complicités et connu des moments privilégiés de plaisir et de bonheur. Une fois qu’on a dit ça, on est un homme heureux!